Temps et vie, tempête de vent.

à Sharky

  La pluie commence à tomber, et, sous le ciel nocturne, je commence à peine à réaliser à quel point je me sens seule. Autour de moi, ruine, désolation, mort. Mes camarades sont étendus au sol, et rien ne pourrait désormais les faire revenir de mon côté du miroir. Les yeux vides de certains regardent encore leur nadir, et les expressions des autres restent figées dans la douleur et la peur. Les perles de sang s’évaporent de leurs corps, se mêlent aux larmes des yeux celèstes regrettant leur départ. Les rhododendrons sauvages, parapluies naturels, naturellement percés, s’abreuvent avidement de cette amère potion. Potion liquide, liquides de vie. Et dans la terre qui, plus tard, donnera naissance à des herbes vermeille, comme l’océan enfante ses épais cheveux d’or, les petites vies pourront, sous l’accalmie des gouttes, retracer le refuge où leurs enfants vivront. Cycle de vie, de mort. Spirale infinie du défilement du temps.

Moi, dans cette ville morte, sous le flot et le flux d’un cosmique chagrin, je recherche en vain le sablier du temps.

 

Au loin, au centre d’un labyrinthe dont la sortie n’est plus, s’élève face au vent, un vieux jeu de tarot, haut comme un chapiteau, fin comme une brindille, fragile comme la pensée, cassant comme le cristal… Comme le cœur d’un enfant. Les ancestrales arcanes aux regards brisés et aux corps fissuré, chuchotent dans la tempête, la fin du jour présent, berçant les âmes des hommes, des plantes et des formes, protégeant de la colère des cieux un chat noir faiblissant.

Plus loin dans l’ouragan, plus près sous les rafales, se dresse un cimetière, qui s’oublie  entièrement, dans la fureur du sable et de cinq éléments. Des feux folets, brefs signes de vie dans ce défunt milieu où la joie abandonne, dansent et chantent sous le retard mourant de leur sourd désespoir. En réponse à leurs signaux, dans mon calme troublant, mes bolas enflamment les airs de cercles merveilleux, contredisant leur peur, approuvant leur angoisse, citant dans leur détresse, l’effroi du temps qui passe. Leur soupir chaud s’égare, soufflé par le blizzard, et la solitude revient, emprisonnant le temps, ralentissant les heures… Précipitant la fuite des secondes et minutes. Et les fins grains s’écoulent, comme s’envole un nuage.

Près des catacombes, dans la discrétion malsaine des hurlements du vent, deux cyprès, tels des lances, sont les gardiens de ce silence.


Alyss

Contraintes :
. Seule dans une ville en ruine
. Cherchant quelqu'un ou quelque chose
. Dans un château de cartes
. Cyprès
. Spirale
. Chat
. Parapluie
. Rhododendron