ARRIVÉ ! ENFIN.
Un sac à dos sur l’épaule droite, trois sacoches pendant sur la gauche, je regarde ma nouvelle ville, la ville de Léa. Le car m’a laissé planté là comme un con, chargé comme un bœuf, mais ça, je ne m’en rends pas compte, sur le moment. Il est 16 h 07, et je vais voir Léa.
Dans ma main un bout de papier, signé d’une bouche de rouge à lèvres. Rouge sang. Sa couleur.
Il y a beaucoup de gens, autour de moi, chargés comme des bœufs, plantés comme des cons. Et partout devant moi, il y a aussi des gens. Partout.
« Tu passes le carfour », je lis, pensant que la faute d’orthographe est la plus mignonne du monde.
Puis, je comprends que c’est juste un jeu de mots, lorsque j’aperçois un minibus sur lequel on a peint un four.
Un vrai four, mais avec des roues et des essuie-glace.
Je passe le carfour.
« Tu continues tout droit, puis tu tournes à droite au panneau qui flèche l’opéra et le théâtre. » Elle est belle, son écriture. Ça me rappelle son joli visage. Je suis tellement bloqué dans ma vision de ses yeux que je manque de rater le panneau. J’ai été réveillé par un corbeau. Un corbeau volant sur le dos. Ébloui par mon amour, je me souviens d’avoir pensé. Ce n’est pas ça, mais je ne m’en rendais pas compte, à l’époque.
Je passe devant l’opéra. Ou plutôt devant le derrière de l’opéra. Une chorale de petits monstres et leurs musiciens nounous attendent leur passage sur scène.
Même un dimanche, les pauvres !
Je ne sais pas encore ce que c’est d’avoir des mômes, à ce moment de ma vie. Je suis encore jeune. Mais je suis surtout amoureux.
« Passe devant l’"atelier" et tourne à gauche juste après. »
À la vue des guillemets autour de l’atelier, je ne sais pas à quoi je dois m’attendre. La coquine, elle veut me perdre !
Mais non.
Je passe devant un garage plein de céramistes et de peintres. Ça ressemble à un atelier, même si, aujourd’hui, il y a plutôt une expo photo.
« Tu arrives sur une placette, Anna t’attendra. »
J’arrive sur la placette.
La place.
La grand place.
Je relis le papier. « placette ».
Je me suis trompé ? Où ? Quand ?
Je regarde autour de moi.
Les vieux sur un banc, les gosses qui gueulent, des jeunes qui jouent aux boules, des platanes gigantesques, des réverbères et des pavés mouillés éclairés par leur éclat…
… un ronronnement à mes pieds…
Anna !
Anna, c’est le chat de Léa. Il s’appelle comme ça parce qu’elle l’a trouvé un 19.9.91 à 21h12.
Deux palindromes.
Eh bien, Anna, je te suis.
Amène-moi à Léa.
Alyss
Contraintes :
1/ Vous êtes un bonhomme amoureux et pudique.
2/ Vous êtes dans une ville pleine de gens serrés.
3/ Il y a Anna.
4/ Il y a une grande place avec des gosses qui gueulent et des vieux assis, des mecs et des meufs qui jouent à la pétanque, et des platanes.
5/ Il y a des corbeaux qui volent sur le dos (pour ne pas voir toute cette misère).
6/ Il y a des céramistes, des peintres, des musiciens, une chorale d’enfants, un opéra, un théâtre, un atelier…
7/ Il y a un four… et des pavés luisant sous la bruine.